« Même le poisson qui vit dans l'eau a toujours soif »
— Proverbe Africain
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Mauritanie - Mars 2007

Portrait de fabou

"Malheur à ceux qui n'ont pas connu le silence ! Le silence est un peu de ciel qui descend vers l'homme."

Ernest Psichari, Le Voyague du Centurion

J’ai vu des hommes « libres ». C’était en Mauritanie, ils étaient chameliers. Des hommes jeunes, au corps secs et nerveux. Des hommes pieux avec pour seul maître Dieu, ce Dieu des espaces immenses et arides, où la chaleur fait vaciller l’horizon.Les contingences de leur vie sont extrêmes, le désert implacable leur imposent des règles strictes où toute trangression signifie la mort, leur foi omniprésente accompagne l’écoulement lancinant du temps.  C’est presque paradoxalement qu’ils me sont apparus « libres » parce qu’ils semblent soumis à de nombreuses contraintes que leur impose leur environnement. J’ai compris en les observant que leur mode de vie frugale les mettait à l’abri du conditionnement permanent que je subissais.  Je n’ai pas eu le sentiment qu’ils aient désiré un seul instant se retrouver à notre place, sans doute parce qu’ils ne pouvaient imaginer ce qu’elle était. Quand bien même ils l’auraient pu, l’auraient-ils désirée pour autant ? J’aime à penser que non. 

Ces hommes simples ne se remercient pas verbalement. L’un tend un verre de thé à l’autre qui s'en saisi sans mot dire. L’un d’entre-eux ne connaissaient pas même la formule de politesse arabe que notre guide lui indiquait et que nous aimions à répéter : la choukran alaouajib. Leur vie est réglée sur le soleil : ils se lèvent un peu avant et se couchent un peu après. Pas de lumière artificielle pour eux : en début de soirée, seule la lueur de quelques braises éclairent leurs visages pensifs qui parfois s’animent avec virulence pour retomber dans l’apathie aussitôt après. 

Que peut avoir dans la tête un homme qui vit dans un paysage d’une apparente uniformité ? Nous deviendrions fous je pense de ne pas pouvoir fuir nos angoisses dans quelque activité frénétique, changeante au gré de nos caprices, de notre ego vaniteux. Au désert, le regard où qu’il se pose, doit laisser place à l’esprit qui file comme le vent. Il est impératif pour des questions de santé mental de faire bon ménage avec l’oisiveté. Si on ne le fait pas par conviction on le fera dans le souci de s’économiser : sous le soleil ardent, tout effort, toute gesticulation intempestive est aussitôt réprimée par un abattement soudain qu’on devine fatal si l’on s’acharne. Marcher, c’est bien le maximum que l’on puisse faire. On s’en contentera. Attendre que le soleil se couche me semble une activité de choix pour peu qu’on ait de l’eau, ce bien le plus précieux qui soit en cet endroit. Le silence se redécouvre.

Au sommet d’une dune, les yeux fixés sur l’horizon, le soleil au zénith, j’écoute mes pensées. Aucune pensée profonde néanmoins, comme je le désirais secrétement en venant là-bas. Des pensées simples, élémentaires. Pas de calcul, plus d’intérêt, d’envies,… l’anéantissement. Le cœur est comme une braise qui finit de s’éteindre dans la nuit. Le désert n’est pas une réalité, c’est un mythe où chacun vient puiser, pour étancher sa soif d’absolu dont il est difficile de se départir. Moi, j’y suis allé car je pressentais qu’il s’agissait d’un lieu de dépouillement, de recueillement, vide de tout ce qui pollue mon esprit, mon âme et mon cœur. Un lieu d’ascèse où l’on se souvient soudain que l’on est un homme. Sensation du temps qui passe… Au désert, il n’y aura que ce que nous y mettrons. Tantôt rien, tantôt quelques pensées fugaces sans intérêt, tantôt une rédemption, une expiation salvatrice de l’âme, d’autre fois la solitude, d’autre fois encore la présence chaleureuse de l’Ami Aimé. L’oubli … Tout ce que j’avais imaginé était présent et n’y était pas. Le sable, la pierre, le soleil et le vent, voilà pour sûr ce que j’ai rencontré. J’ajouterais des Maures et des dromadaires. Que celui qui ne me croit pas aille vérifier. L’élévation mystique, la méditation cela n’y ait pas. J’étais bien présomptueux de penser trouver ces choses-là simplement en me retrouvant sur un court lapse de temps dans le désert. J’y resterais 10 ans que rien ne viendrait. Pourquoi attendre cela ? Le monde se suffit à lui-même, ne me suffit-il pas à moi ? Celui qui cherche ne trouve pas, celui qui trouve ne cherche pas.

Je ne rejette point ce que nous vivons nous autres dans nos contrées mais étant tout disposé à me trouver ailleurs que là où je me tiens, il est normal que j’agrémente le temps qui passe de quelques escapades exotiques. Là bas point de regret pour ma chère France, ici l’Adrar me manque.  Ne sommes-nous pas plus à même de savourer l’Adrar que ceux qui l’habitent ? Nous peuplons cette contrée de tas de chimères orientalistes. On aime ce que l’on a pas. Ce qui me manque, c’est de vivre de peu, c’est le sentiment de réalité qui se saisit de moi au sommet de la dune tant de fois fantasmée et projettée sur les plaines de la Beauce si fertiles et pourtant si stériles. Le chamelier ne voit pas ce que je vois. Il fait corps avec son environnement, je plane au-dessus en pleine félicité, heureux d’observer en hauteur l’océan de dunes qui s’étalent jusqu’à l’horizon. 

Nous leur avons donné de l’argent en fin de séjour. Une forme de remerciement, la seule que nous connaissons. La liasse de billets avaient quelque chose de dérisoire dans leurs mains brunes. Ils nous ont remercié cette fois-là, sans effusion, sobrement. L’un à fait un geste de la main qui nous englobait tous, puis il a baissé les yeux sous nos sourirs carnaciers. J’ai la vision de ces billets éparpillés sur les dunes, voletant au gré du vent… Il y a des endroits sur terre où l’argent n’est d’aucun secours. Eux, en feront bon usage, sûrement. Ce qu’ils se procureront avec leur sera sans doute utile. Les chameliers étaient bien pour moi des hommes « libres ». Libres dans leur foi, dans leur nomadisme, libre sur l’immensité quasi stérile du désert qui les a vu naître. Libres et toujours en accompagnés de leur foi qui ne les abandonne jamais.

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Commentaires

Portrait de fabou

Tu n'y trouveras que ce que tu y apporteras

"L'appel du désert pour les penseurs de la ville a toujours été irrésistible. Je ne crois pas qu'ils y trouvent Dieu. Mais ils entendent plus distinctement dans la solitude, le Verbe vivant qu'ils apportent avec eux."

T.E Lawrence, "Les Sept piliers de la Sagesse"

Portrait de fabou

désert et solitude

« On ne peut être vraiment soi qu'aussi longtemps qu'on est seul; qui n'aime donc pas la solitude n'aime pas la liberté, car on n'est libre qu'en étant seul. »

 

Chopenhauer, Parerga et paralipomena.

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