Je ne vous ai pas parlé du shicho, du chemin d'une liberté, celui qui mène à la Mort, celui qu'il ne faut pas suivre.
Voici :
Dans cette situation blanc ne doit surtout pas pousser. Il faut qu'il fasse le deuil de sa pierr ... mais il pourrait néanmoins en tirer quelque avantage. Toute pierre sur le goban a son rôle à jouer. Certaines n'exprimeront jamais rien, n'accompliront rien mais d'autres moribondes pourraient renaître de leurs cendres, se mettre soudainement à briller avec intensité et rendre possible ce qui semblait jusqu'alors impossible. Cela peut être vrai d'une pierre prise en shicho : elle est encore sur le goban alors elle peut avoir un rôle à jouer. Elle reste menaçante. Méfiez-vous de l'eau qui dort. D'ailleurs, il y a de nombreux proverbes qui permettent d'assimiler certains principes du jeux et l'un d'entre aux dit :
Capturez le shicho dès que possible.
(d'après New Go proverbs illustrated - Milton N. Bradley)
On peut traduire : prenez le temps de capturez cette pierre, ce faisant réduisez à néant le risque potentiel qu'elle représente.
On peut forcer avantageusement la capture d'une pierre prise en shicho en jouant un briseur de shicho : une pierre qui fait que le shicho ne fonctionne plus si Noir le pousse.
Illustration :
La pierre blanche marquée est un briseur de shicho : Noir ne doit pas le pousser, il ne marche plus. S'il le faisait il reste avec trop de faiblesses, des points de coupe (D4, B7).
Donc Blanc peut jouer son briseur de shicho et Noir pourrait être obligé de capturer la pierre initialement prise en shicho, puis Blanc profite alors de son briseur pour accomplir ce qu'il avait en tête et rendu possible par le fait que noir n'a pas répondu localement à son briseur mais a dû capturer.
Le shicho n'est pas anecdotique : suivant qu'il marche où pas on peut ou non jouer tel ou tel coup. S'il ne marche pas une pierre posée de façon adéquate peut faire qu'il marche et donc cette pierre constitue une menace et peut nécessité une réponse qui fasse que le shicho ne fonctionne pas à nouveau.
Exercice :
Observez dans le diagramme d'origine la position de la pierre blanche relativement aux 3 pierres noires. Posez le shicho sur un goban et déroulez-le. Trouvez différents briseurs de shicho. Observez l'alternance des pierres noires de part et d'autre du serpent blanc. Voir que N9 du diagramme d'origine peut être joué aussi sur l'intersection B3 (où est B10 - Blanc 10). Comprendre le principe du shicho : les pierres noires sont posées de telle sorte que la chaîne blanche n'a jamais plus de 2 libertés.
Commentaires
Chemin d'une liberté - application à un tsumego
Tsumego, problème de Vie et de Mort.
Le Go est un jeux d'échange : tout devrait avoir une contre-partie. Si les gains de part et d'autre sont identiques, l'équilibre est maintenu, le jeux se poursuit, chacun tentant de rompre l'équilibre à son avantage. Si l'équilibre est rompu, celui qui a l'avantage tâchera de le conserver, celui qui ne l'a pas cherchera à rétablir l'équilibre. La prise de risque est inversement proportionnelle au gain qu'on peut en escompter.
Le tsumego est un moment dramatique de la partie, un moment où l'équilibre peut être rompu de façon tragique. Il faut se préparer à ces scènes pour tuer, pour vivre, pour maximiser le gain, pour minimiser la perte.
Voici un exemple un peu compliqué mais que je vais décrypter avec vous. Le shicho joue un rôle prépondérant dans ce problème de Vie et de Mort.
D'abord la scène : à Noir de jouer
Il y a des pierres de partout, c'est compliqué. Que se passe-t-il? Comment en ait-on arriver là? Et si je partais me promener sur les bords de Loire plutôt...
Face à cela, le calme (même simulé) est requis. Tout cela est ludique. Rappelons-nous la citation que nous a rendu le bon edhel.
Analysons ce que nous voyons, faisons un état des lieux :
Quel est l'enjeux? Pour Noir il faut qu'il fasse vivre ses pierres marquées d'un delta (être vivant c'est pouvoir faire les 2 yeux salvateurs ou se connecter à un groupe de pierres vivantes). Si elles vivent, il se pourrait que les pierres blanches marquées d'un cercle meurent en retour. Ces pierres blanches ne sont pas très glorieuses non plus : 3 liberté en tout, une vie qui semble dépendre de la vie du groupe de pierres noires prêt du bord... mais Noir a une pierre marquée d'une croix en atari : il ne lui reste plus qu'une liberté et sa capture donnerait de l'air aux pierres blanches marquées d'un cercle... mais c'est à noir de jouer, et cela change tout.
Voici pour une première analyse de la situation. Il faut se dire des choses face au goban. Si vous ne vous dites rien, ce n'est pas bon signe. Vous tatonnez dans les ténébres où vous guide votre adversaire vous menant dans une fosse d'où vous ne sortirez sans doute pas. Même si ce que vous vous dites n'est pas dans l'absolu pertinent, peu importe, il faut se le dire, il faut mettre des mots sur les pierres, cela dissipe la brume... Au commencement était le Verbe.
Maintenant je vais vous faire part du cheminement de ma pensée sur la base du constat ci-dessus.
J'aurais aimé que cela marche :
mais le shicho n'est pas favorable à Noir. La séquence ne fonctionne pas. Mais cette réflexion n'a pas été faite en pure perte.
N1 : menace d'isoler les pierres blanches du bord (celles marquées d'un cercle dans la diagramme d'origine).
B2 : menace la capture d'une pierre et le sauvetage définitif des pierres blanches du bord.
N3 : connexion de la pierre en atari et réactivation de la menace
B4 : enclenche le shicho qui ne fonctionne pas pour Noir : les pierres blanches du bord sont saines et sauves, Noir a échoué
Capitalisons sur l'échec. Le shicho ne marche pas certe mais peut-on faire en sorte qu'il marche? Ce qu'il nous faut c'est un briseur de shicho mais pas seulement : si on joue n'importe quel briseur, Blanc capture la pierre noire marquée d'une croix dans le diagramme d'origine et c'est terminé.
Regardons ce briseur qui n'est pas seulement cela -j'adore ce coup- :
Bluffant, du moins pour moi qui suit impressionnable. N1 menace de sortir par l'intersection marquée d'un delta (H16) les pierres noires du bord. Rappelons que le but de Noir est de faire vivre ces pierres. Pour cela soit il vit sur place, sur le bord mais cela ne se peut pas, il est à l'étroit il ne pourra pas faire les 2 yeux salvateurs. Soit il sort ces pierres, et N1 est la façon la plus directe de répondre à ce besoin vitale pour Noir.
Observons la suite de la séquence et voyons que N1 devient briseur du shicho du diagramme précédent :
B2 empêche les pierres noires du bord de sortir (sinon le problème est terminé).
N3 enclenche la toute 1ère séquence qui ne fonctionnait pas.
B4, N5 etc... : mais maintenant N1 permet au shicho de marcher pour Noir car B10 se retrouve en atari à cause de N1 quand Noir joue N13.
Résultat : les pierres blanches marquées d'un cercle du diagramme d'origine sont isolées sur le bord et si les pierres noires marquées d'un delta ne meurent pas, les blanches mourront (à vous de voir cela).
Conclusion :
Il faut se décrire ce que nos yeux voient. Il faut comprendre les enjeux d'une scène. On peut parfois capitaliser sur un échec : cette séquence ne marche pas mais peut-on faire en sorte que cela marche. La clé est souvent un coup à double menace : N1 menace de sortir les pierres noires directement, ou indirectement en rendant favorable le shicho.
C'est un exemple pour moi difficile.
N'est pas shicho qui veut
Tout ce qui brille n'est pas Or, de même pour le shicho : une configuration peut sembler donner naissance à un shicho mais on ne s'est qu'illusionné -nous sommes notre ennemi le plus farouche-, soit que Souffrance ou Avidité nous ai induit en erreur, nous poussant à prendre des vessies pour des lanternes,autrement écrit, à prendre pour certitude une approximation grossière rétrospectivement.
Observons cela ( tiré de : Graded Go Problems for Beginners - Volume One - Introductory PRoblems (30 kyu - 25 kyu ) ):
Avant toute réflexion, voici le motif du shicho, celui qui mérite attention, qu'il faudra approfondir afin de déterminer s'il y a ou non shicho :
Avec un peu de dépouillement voici le motif, la forme (qu'on qualifie de "bonne forme") :
Revenons à la scène d'origine. Lançons le pseudo shicho :
La pierre blanche marquée d'un delta noir brise le shicho. Il ne marche pas car à cause de cette pierre blanche N3 est atari après B6. Dommage. Donc pas de précipitation, un peu de lecture.
De cette erreur, tirons comme à notre habitude une solution :
L'atari préalable N1 révèle le véritable shicho qui se cachait derrière le pseudo shicho (ce n'est bien entendu pas toujours le cas). La configuration semble changer légèrement mais le changement est plus que léger, il est majeur : le shicho fonctionne cette fois. La pierre blanche qui brisait le pseudo shicho précédent n'est plus active. Elle se trouve écartée du chemin d'une liberté.
Une jeune personne de mon entourage m'a proposé cela :
J'ai analysé succintement la proposition puis j'ai commencé par dire "oui, cela marche parcequ'il y a un faux shicho" à cause de la pierre noire marquée:
Mais rien n'oblige B4 qui induit N5, coup noir qui semble réfuter B2. Blanc doit se servir de B2 comme suit :
B4 met la pierre noire juste au-dessus en atari et permet aux 3 pierres blanches candidates au shicho de sortir en se connectant avec leur copine. Donc la proposition bien qu'élégante en toute première lecture n'est pas correcte.
La simplicité prévaut comme parfois (souvent?).
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