Le dernier billet sur le Go commis sur ce site était un peu ésotérique, surtout pour le non initié d'autant plus qu'il présentait les choses de façon intentionnellement baroque. Je voudrais revenir à des choses plus fondamentales, plus simples, essentielles : les formes élémentaires et leur statut.
Un des points importants au Go d'après mon expérience et d'avoir une idée aussi juste que possible du statut de ses groupes de pierres. Un groupe de pierres peut être tout simplement vivant, mort ou l'un et l'autre à la fois au sens ou bien que vivant et non encore mort seul l'avenir et les capacités relatives des 2 joueurs décidera du statut définitif du groupe.
A noter que le voisinage d'un groupe influe sur son statut. Nous tâcherons d'illuster cela succintement.
Pour vivre, il faut 2 yeux, que ces 2 yeux aient été effectivement formés ou non :
Ci-dessus les intersections marquées d'un triangle au sein du groupe de pierres noires constituent les 2 yeux de ce groupe qui est définitivement vivant : aucun moyen pour Blanc de priver Noir de toutes ses libertés, il faudrait pour cela qu'il joue simultanément dans les 2 yeux, ce qui n'est pas autorisé par les règles.
Observons le presque même groupe, privé d'une pierre :
Quel est le statut du groupe. Si Noir joue en 1er sur l'intersection du milieu (intersection G1), il forme 2 yeux et vit. Si Blanc joue sur cette intersection, Noir meurt : c'est le point vital de ce groupe. La séquence artificielle suivante tient lieu de démonstration :
Ce groupe de pierres à 3 intersection est vivant ou mort suivant le trait. Il en est de même pour ce même groupe de 3 intersections :
Le point vital de ce groupe est l'intersection G1, point de symétrie qu'on ne manquera pas de considérer lorsqu'on s'évertuera à dénicher le point vital de notre groupe, fébrile, tremblant, tiraillé entre le dégoût de soi et la colère à l'encontre de l'adversaire pour finalement conclure mais sans certitude qu'il n'existe pas, ce point vital et que le Go n'est de toute façon qu'un jeux, un passe-temps comme un autre, une activité dans laquelle on s'absorbe à défaut de s'absorber dans la Vie, la vraie. Puis se re saisissant, l'esprit concentré, débarrassé du pathos, des passions, un point semble luire dans l'ombre...
Changeons un peu la situation :
Le groupe noire a une liberté en plus : intersection marquée d'un cercle en E3 et il y a 2 copines à proximité. Dans ces conditions, le point vital de Noir n'est pas encore vital car Blanc a une faiblesse. S'il joue immédiatement en G1 :
Noir exploite la faiblesse et sans sort. Le voisinage de Noir l'a rendu plus fort : il n'y a pas de nécessité pour Noir de jouer immédiatement sur le point vital qui n'en est pas encore un.
Le coup B1 du diagramme ci-dessous, en couvrant la faiblesse de Blanc rend l'intersection G1 vitale pour le groupe noir, ce qu'elle n'était pas jusque-là :
Dans ces exemples, les groupes sont presque formés entièrement, avec des frontières bien tracées. En partie réelle, il ne faut pas attendre que les groupes se dessinent pour les observer, les étudier pour en déterminer le statut, leurs ébauches peut suffir. Les points vitaux apparaissent, un peu flous au début puis de plus en plus nette, parfois ils sont nettes (probabilité maximale) mais ils peuvent se nimber à nouveau dans la brume :
Sans la pierre noire en L2, J3 n'est pas encore une faiblesse pour Blanc et donc G1 est un point vital pour Noir. Si Noir ajoute un pierre en L1, G1 perd sa nature vitale, du moins il ne l'est plus aussi nettement que sans la pierre noire en L3.
Avant d'aller plus loin et pour conclure pour ce soir, illustrons la notion de faux oeil :
L'intersection marquée d'un triangle est un faux oeil du groupe Blanc qui est pour le coup mort. Celui-ci est relativement simple a diagnostiquer, d'autres sont un peu plus subtiles. La nature véritable d'un oeil est fluctuante, ce sont des probabilités qui évoluent dans le temps, 1 étant une probabilité absorbante, une fois qu'un oeil est vrai rien ne pourra changer sa nature, à la différence du point vital. Rendre les yeux potentiels d'un groupe faux c'est le tuer : si au final il ne lui reste qu'un seul vrai oeil, ce n'est pas suffisant.
J'aborderais ultérieurement en commentaire de ce billet d'autres groupes et leur statut. Vous comprendrez en particulier le titre donné à ce billet. J'ajouterais au gré de ma fantaisie et de l'inspiration du moment quelques remarques qui pourraient je l'espère vous inciter à cheminer sur la voie ardue, parfois ingrate du Go (qui comme toutes ces voies arides est ô combien enrichissante).
Commentaires
J'en viens donc à l'objet
J'en viens donc à l'objet premier du billet ci-dessus : l'arithmétique dans l'espace.
Quel est le statut (vivant? mort?) de ce groupe (sur le bord, six pierres alignées sur la deuxième ligne) suivant le trait :
Si Noir joue en premier, peut-il sauver son groupe ?
Voici une façon pour Noir de jouer. Noir est mort. : B4 est au point vital de la forme en 3 auquel il a été réduit. Prendre B2 ne donne à Noir qu'un faux oeil.
Les autres premiers coups de Noir donne le même résultat : la Mort.
Sur le bord, avec 6 pierres alignées sur la deuxième ligne, Noir ne peut pas vivre même s'il a le trait.
Et avec 7?
Si Noir joue le premier :
Il est réduit à une forme en 4 intersections alignées qui est inconditionnellement vivante.
Si Blanc joue le premier :
Du fait du trait, Blanc peut réduire Noir à une forme en 3 en sente (prononcation : séneté) i.e. en conservant le trait. Il n'a plus qu'à jouer au point vital de la forme en 3 : Noir est mort.
Sur le bord, avec 7 pierres alignées sur la deuxième ligne, Noir vit s'il joue le premier, Blanc tue s'il joue le premier.
Et avec 8 ?
C'est une progression logique : Noir vit inconditionnellement, qu'il soit le premier à jouer ou non.
Un peu de calcul :
Sur le bord, avec 6 pierres alignées sur la seconde ligne, si Noir joue le premier, le coup qui lui permet de conserver le plus d'espace le prive d'une intersection. Ensuite Blanc réduit d'une intersection et Noir bloque se privant d'une autre intersection : 6 - 1 - 1 - 1 = 3 = Mort. En jouant le second, il ne peut lui rester plus d'intersections que s'il jouait en premier. Il lui en reste non plus 3 mais 2 et si 3 est Mort 2 l'est tout autant (on est loin du Go paranormal).
Sur le bord, avec 7 pierres alignées sur la deuxième ligne, on effectue le même calcul mais sur une base augmentée d'une pierre.
Sans le trait pour Noir : 7 - 1 - 1 - 1 - 1 = 3 = mort. Blanc réduit ( - 1 ), Noir bloque ( - 1 ), Blanc réduit ( - 1 ), Noir bloque ( - 1 ). Noir est réduit à la forme en trois sans le trait, il est mort.
Avec le trait 7 - 1 - 1 - 1 = 4 = vivant. Noir conserve le plus d'espace possible au prix d'une intersection ( - 1 ), Blanc réduit ( - 1 ), Noir bloque ( - 1 ). Blanc est réduit à une forme en 4 vivant inconditionnellement. Il n'est pas obligé d'ajouter une pierre pour assurer sa survie.
Je vous laisse faire le même exercice pour 8 pierres alignées sur le deuxième ligne sur le bord. S'il vit sans le trait, il vit d'autant plus avec.
Pourquoi arithmétique dans l'espace? Vous aurez peut-être noté que les groupes soumis à votre attention étaient qualifiés par un nombre de pierres, un attribut permettant de qualifier la position de ces pierres les unes par rapport aux autres (pierres alignées) et deux attributs permettant de les localiser dans l'espace : la deuxième ligne et le bord.
Translatons un peu nos pierres vers le coin :
Rappelons-nous que sur le bord, 6 pierres alignées sur la deuxième ligne sont mortes même avec le trait, mais dans le coin :
Elles vivent inconditionnellement i.e. même sans le trait. Les pierres étant dans le coin, Blanc a un côté de moins pour réduire Noir, il ne peut que le réduire par la droite ( - 1 ) , Noir bloque ( - 1 ) reste 4 inconditionnellement vivant ( B3 est posé pour illustrer le propos, à ne pas jouer en partie réelle sauf s'il s'agit d'une menace de kô ).
Pour tous ceux qui ont des capacités intellectuelles un peu vivaces (à la différence de l'auteur de ce billet qui compte davantage sur l'inspiration qu'apporte la dive bouteille) : alignées sur la deuxième ligne, 8 sur le bord = 6 dans le coin (vie inconditionnelle), 7 sur le bord = 5 dans le coin (vie ou mort suivant le trait), 6 sur le bord = 4 dans le coin (mort inconditionnelle), d'où le titre du billet sur lequel porte ce commentaire.
D'une manière générale, le statut d'un groupe dépend de sa position sur le Goban (entr'autre). Il y a 3 grands lieux sur le Goban : le coin, le bord, le centre. On se rappelera qu'il est plus aisé de faire du territoire dans le coin, puis le bord et enfin le centre. Quel rapport? Je cherche ... et vous dirais cela lorsque j'aurais une réponse satisfaisante.
Go et Acupuncture
Allez on se fait un petit problème pour illustrer tout ça :
Pour sauver sa colonne H de 3 pierres , Noir doit capturer les 6 pierres blanches sur la droite.
Comptons :
Les 6 pierres blanches mentionnées ci-dessus ont 2 libertés :
Mais dans l'espace ? Noir ne peut pas combler la liberté J2 car il se mettrait se faisant en atari. S'il le fait il faut qu'il capture. En ce qui concerne la liberté K1 il faut que Noir descende préalablement en L1 pour pouvoir la combler. Donc dans l'espace cela fait 3 libertés.
Les 3 pierres noires ont 2 libertés :
et dans l'espace, 2 aussi en notant que Blanc ne peut combler la liberté J2 de Noir qu'il a commun avec lui qu'une fois la liberté G1 comblée, ce qu'il peut faire sans se mettre en atari.
Comment Noir va-t-il s'y prendre ? Il s'en sort par l'acupuncture.
Il faut qu'il se donne du temps, du souffle ou de la liberté :
Il fallait y penser ! N1 transforme la pierre noire F2 en épine dans le talon de Blanc qui ne peut plus combler la liberté G1 de Noir. Mais N1 est elle-même une épine. Blanc doit préalablement retirer les épines de son talon pour combler la liberté G1 de Noir.
Avec N1, Noir donne 2 libertés de plus à ses 3 pierres : 2 + 2 = 4 libertés. Il prend la tête de cette course à la Vie.
Voyons la suite :
Noir peut combler en 2 temps (N3 et N5) la liberté K1 de Blanc occupé à retirer les épines de son talon (avec les coups B2 et B4). This is the End... my only friend the End...
D'après Graded Go Problems for Beginners - Volume 3 - Kano Yoshinori (9 dan)
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