"Face à des aventures terribles comment ne pas soupçonner que celui qui les vit est lui-même quelque chose de terrible."
Par-delà le bien et le mal - F.Nietzsche
Georges Bataille
La guerre comme expérience intérieure"...texte magnifique, texte effrayant, texte de mort, texte de vie..."Il ne nous servirait à rien de fermer les yeux _ mais il nous faut au contraire les ouvrir tout grands pour regarder bien en face cette Ombre d'une Mort collective qui monte à l'horizon."
Ecrits du temps de la guerre - P. Teilhard de Chardin
Comme le Père Teilhard de Chardin nous y invite, ouvrons grands nos yeux et regardons l'ineffable, d'autant plus qu'il n'y a somme toute aucun risque à lire un livre ... quoique. Je ne prétends pas faire miens les propos tenus dans ce livre et pourtant je me suis laissé séduire par le texte, séduction en forme de régression, séduction de ce que je crois abhorré : l'Esprit de combat aux tréfonds de l'homme en lieu et place de Dieu.
"Voilà ce que nous ne pouvons nier, quand bien plus d'un le voudrait : le combat, père de toutes choses, est aussi le nôtre[...]".
La guerre comme expérience intérieure - Ernst Jünger
Voilà où nous en sommes ... à lever le voile de l'apparence. L'homme, fils du combat qui est fils de l'homme. Nous l'avons engendré comme lui a fait de nous ce que nous sommes. Tout citoyen français se pense aujourd'hui fondamentalement pacifique bien qu'il fasse partie d'une nation sur-armée, dotée de moyens de destruction massive. C'est qu'il n'y a plus de lien direct entre le combat et l'individu. La France entretient une caste de combattants ( armée de métier ) qui choisissent cette voie pour des raisons qui leur sont propres ( pouvoir laisser libre court à son instinct dans un environnement autoritaire qui absout ... ) et qui représentent sur le champ de bataille l'ensemble des citoyens qui n'ont qu'à faire montre d'une animosité consensuelle envers l'ennemi qu'on leur a désigné ( à tort, à raison ? ). Mais la bête est en nous même et attend son heure. Un tueur sommeille en chacun.
Ernst Jünger l'écrit avec le poids du vécu :
"Toujours il est en lui beaucoup de la bête, sommeillante sur les tapis confortables et bien tissés d'une civilisation lisse, dégrossie, dont les rouages s'engrènent sans heurts, drapée dans l'habitude et les formes plaisantes; mais la sinusoïde de la vie fait-elle brusquement retour à la ligne rouge du primitif, alors les masques tombent : nu comme il l'a toujours été, le voilà qui surgit, l'homme premier, l'homme des cavernes, totalement effréné dans le déchaînement des instincts."ou encore :
"Au combat, qui dépouille l'homme de toute convention comme des loques rapiécées d'un mendiant, la bête se fait jour, monstre mystérieux resurgi du tréfonds de l'âme."
ou encore :
"Alors l'humain se revancha en fracassante orgie de tout ce qu'il avait laissé perdre. Alors ses pulsions, trop longtemps endiguées par la société et ses lois, redevinrent l'unique et le sacré et l'ultime raison. Et tout ce que le cerveau avait au cours des siècles taillé d'arêtes sans cesse plus tranchantes ne servit plus qu'à accroître la force du poing au-delà de toute mesure."
ou bien :
"L'affinement de l'esprit, le culte délicat du cerveau s'abîmèrent en sonore ferraillement de barbarie renaissante. D'autres dieux furent hissés sur le trône du jour[...]."
La guerre comme expérience intérieure - Ernst Jünger
Assez !! Effroyable constat fait en 1922. Le propos fait aujourd'hui sourire et pourtant ne sentez-vous pas combien il est véridique. Je serais même davantage pessimiste : rien ne sert d'accuser l'homme primitif qui n'était alors guidé que par la Nature qui n’était pas encore sienne. Il n'était que lui-même comme la Nature l'a voulue et son instinct n'était alors que le garant de sa survie. Il ne faisait que chasser au même titre que n'importe quelle prédateur. C'est par évolution qu'il est devenu son propre prédateur : une forme de déviance, de particularisme qu'il n'a fait qu'entretenir à travers les âges. C’est cela qui fait que nous sommes hommes, c’est cela notre péché originel : avoir tracer une voie hors de la nature, voie que révèle notre propre nature.
La "bête" dont il est question est pour moi davantage la bête biblique, l'instinct déviant fruit d'une évolution qui a fait de nous les fils du combat. Inutile de fonder trop d'espoir sur des lendemains en paix - celle que nous vivons n'est qu'apparente, soporifique -, ces lendemains ne sont pas l'avenir de l'homme... du sur-homme alors ?
Eros :
« Love in the middle of a firefight … » Search & Destroy – The Stooges
Où il est question de pacifisme :
« La guerre n’est pas instituée par l’homme, pas plus que l’instinct sexuel ; elle est loi de nature, c’est pourquoi nous ne pourrons jamais nous soustraire à son empire ».
La guerre comme expérience intérieure - Ernst Jünger
Telle est la position de l’auteur.
De la bravoure :
La bravoure est le « marteau qui forge les grands empires, l’écu sans quoi nulle civilisation ne tient. »
Lansquenets :
Où l’auteur nous décrit un genre bien spécifique de combattant : le « lansquenet » en référence au mercenaire du moyen âge du même nom.
« Il tranchait, comme sur une race bien distincte, sur le fond des petits-bourgeois égarés sous les armes, type en fin de compte prédominant dans les armées nationales, cette expression militaire de la démocratie. »
La guerre comme expérience intérieure - Ernst Jünger
Le lansquenet, avec la guerre dans le sang, comme une activité qui est toute sa vie féroce, la lutte comme faire-valoir, le guerrier qu’anime le combat. Un effroyable soldat dont la vie prend sens dans le carnage de la guerre. Le combattant qui pose l’infâme équation « vivre égale tuer ».
Je conclurai par cette dernière citation bien que n’ayant commenté de façon décousue qu’une partie de l’ouvrage :« L’essentiel n’est pas ce pour quoi nous nous battons, c’est la façon dont nous nous battons. »
La guerre comme expérience intérieure - Ernst Jünger
Cette mentalité bien qu’acquise dans des circonstances bien précises que nous ne connaissons pas est à proscrire en tout cas par tous ceux qui ne vouent aucun culte à aucun dieu de la guerre. Cette composante des polythéismes nous devient plus familière à la lecture d’un tel ouvrage. Si je semble condamner le texte, comme je le précisais en début de billet il me fascine également pour des raisons esthétiques et parce que je sens qu’ en tant qu’être humain une dimension de lutte sommeille en moi que l’Etat est susceptible de réactiver. On ne vainc pas son ennemi intime en l’ignorant, n’est pas empli de bonté qui le décrète. C’est le fruit d’un travail de fond qui nous amène à dépasser ce que nous sommes vers une aire autre dont que je ne peux qu'évoquer n’en pressentant l’existence qu’en de rares moments, trop rares.
Commentaires
Un commentaire des chapitres
Un commentaire des chapitres de l'ouvrage sur un blog : http://pourconvaincre.blogspot.com/2009/02/la-guerre-comme-experience-interieure_17.html
Résumé pratique
Résumé pratique des chapitres de l'ouvrage pour ceux qui souhaitent faire l'économie de sa lecture.
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