L'Auteur sous forme de témoignage raconte dans ce livre l'émergence dans la période de l'entre-deux guerres du nazisme en Allemagne. Ce n'est pas un livre d'Histoire à proprement parlé, il s'agit plutôt d'un ouvrage de "psychologie collective" qui donne à comprendre les mécanismes mentaux qui ont amené une nation à sombrer dans la révolution national-socialiste. Il rend palpable le contexte historique et ses incidences psychologique.
Voici quelques passages commentés :
"N'était-ce pas beau, sous le soleil printanier, de se mêler à une foule en liesse sur une place pavoisée, prêtant l'oreille à des propos sublimes où revenaient les mots de patrie et de liberté, de réveil et d'engagement sacré ? ( En tout cas, cela valait mieux que de se retrouver à huis clos dans une caserne SA, à se faire remplir d'eau les intestins.).On se mit à participer - d'abord pas crainte. Puis s'étant mis à participer, on ne voulut plus que cela fût par crainte, motivation vile et méprisable. Si bien qu'on adopta après coup l'état d'esprit convenable."
Le propos est clair : la crainte pousse à adopter un comportement qu'on aurait juger condamnable dans d'autres circonstances. On a de ce fait une image dégradée de soi. Pour retrouver l'estime de soi, la fuite en avant est de mise : on adoptera par conviction sincère ce qu'il y a peu nous condamnions du fond du coeur. Ceux qui n'ont pas rejoint les nazis par conviction première, l'ont fait par "conviction seconde", celle que la peur et la nécessité de s'estimer vous insuffle.
"La raison la plus simple, qui s'avérait presque toujours , quand on creusait, la plus intime, c'était la peur. Frapper avec les bourreaux, pour ne pas être frappé. Ensuite, une ivresse mal définie, ivresse de l'unité, magnétisme de la masse. Puis chez beaucoup, dégoût et ressentiment envers ceux qui les avait laissés tomber."
La dernière phrase de cette citation fait référence à la trahison des chefs de l'opposition ( mars 1933 ).
Suite de la citation : "Puis, chez quelques uns ( en particulier chez les intellectuels ), la conviction de pouvoir encore changer le visage du parti nazi et l'infléchir dans leur direction en y adhérant eux-mêmes. Ensuite, bien entendu, la soumission pure et simple, l'opportunisme. Enfin, chez les plus primitifs, les plus frustres, dominés par l'instinct grégaire, un phénomène tel qu'il a pu s'en produire dans les temps mythologiques, quand une tribu vaincue abjurait son dieu tutélaire manifestement infidèle pour se mettre sous la protection du dieu de la tribu victorieuse. [... ] Apprenons à prier : "C'est la faute aux juifs", au lieu de : "C'est la faute au capitalisme".
Trois motifs de ralliements sont cités :
· tentative de contamination du parti nazi de la part de certains intellectuels pensant être à même de perturber le système ( n'est-ce pas là aussi une manière de retrouver l'estime de soi? )
· soumission et opportunisme
· conversion ( car la vérité est du côté des vainqueurs )
"Le commandant du camp [...] dévoila dans son allocution le secret de notre éducation idéologique : point n'était, dit-il, besoin de longs discours, point besoin d'endoctrinement. Il suffisait de placer les jeunes Allemands que nous étions dans l'environnement convenable, de nous arracher à l'hypocrisie de notre monde bourgeois [...] pour que la révélation se produise d'elle-même : nous étions fondamentalement de vrais nazis. Car c'était là le secret du national-socialisme : il faisait vibrer une fibre profonde du caractère allemand. Ceux d'entre nous qui n'étaient pas encore national-socialistes dans leur tête savaient maintenant sans erreur possible qu'ils l'étaient dans leur sang. Le reste suivrait ..."
Ceci est un propos rapporté par l'auteur, il ne s'agit pas de son analyse mais de celle d'un standartenführer, un commandant de camp, camp au sein desquels la jeunesse allemande suivait une formation militaire rudimentaire et surtout était "encamaradée", néologisme défini par l'auteur :
"C'est un état terriblement dangereux. On y vit comme sous l'emprise d'un charme. Dans un monde de rêve et d'ivresse. On y est si heureux et pourtant on n'y a plus aucune valeur. On est si content de soi, et pourtant d'une laideur sans bornes. Si fier, et d'une abjection infra-humaine. On croit évoluer sur les sommets alors qu'on rampe dans la boue. Aussi longtemps que le charme opère, il est pratiquement sans remède."
Ce livre doit être lu car il aiguise la vigilance. L'avénement d'un régime totalitaire demain se fera d'une manière d'autant plus différente qu'il aura lieu tardivement. Comprendre les versions passées d'un tel phénomène aidera à en faire le diagnosique et à agir suivant qu'on aura ou pas surmonter sa peur.
Commentaires
C'est tout l'intérêt d'un
C'est tout l'intérêt d'un blog collaboratif de permettre l'échange et le partage d'expériences présentes, passée ou imaginaires qui permettront par elle-mêmes une certaine "prise de conscience". On ne peut seul faire tout ce travail, quand on est plongé, alors autant y être aidé. On le sent tous, "la peur", sous plusieurs formes, semble être un des ressorts qui se cache incidieusement dans certains discours que l'on entend sur les ondes. "Plus c'est gros, et plus ca passe". Pour combattre cette peur, seuls, la prise de conscience, un petit ou grand saut dans le vide, une réflexion à partir de sources diverses, une lecture, ou un questionnement, permet de justement "surmonter" cette peur. Pour ce qui est du diagnostique, ce n'est pas à nous de le faire individuellement, mais plutôt de le construire collectivement, par en premier lieu la relecture et la compréhension des versions passées. Et la, je dis chapeau bas à toi fabou pour ce bon coup de pouce ou piqure de rappel !
Bravo la poch', mais quelle poch !
On peut aussi regarder l'histoire et l"expérience très récente ce qui se passe en Amérique Latine et notamment en Bolivie est aussi intéressant, car les méthodes ont depuis changer. En parlant d'expérience collective appliquée au domaine de l'information et des médias alternatifs, il est intéressant de lire l'histoire du journal indépendant diffusé en bolivie, le jouet enragé , qui a, malgré lui, réussit à crystalliser des opinions dans une période de lutte sociale, à point tel qu'il devient le seul et unique journal contre tous ceux du système (sous contrôle politique), à défendre les intérêts de citoyens ayant besoin d'un outil d'information qui puisse renverser le système. Le gouvernement passé a bien tenté à de nombreuses reprises d'écarter, intimider ou interdire la diffusion de ce journal, mais tous les libraires se sont réunis en assemblée générale et ont débattus démocratiquement pour finalement voter l'autorisation de diffusion. C'est parti de citoyens, 2 journalistes à la base. Aujourd'hui, il y a même une édition internationale pour que les gens puisse apprendre de leur expérience par des cas concrets et des expériences vécues très récentes.
-- borniol
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