« 4 Janvier

Les 3 officiers d’Arawân, retour d’Indochine. Ce qu’on a fait de ces mercenaires ! Pour savoir l’ignominie de la guerre il faut descendre au niveau de l’exécutant et de l’assassin. Les communiqués sont très pudiques et les officiers sont bien trop élevés pour insister sur les horreurs qu’ils ont autorisées ou exigées. Et ces hommes qui ne se posent aucune question : on leur dit de tuer et ils tuent … »

Majâbat Al-Koubra [ 1 ] , Théodore Monod

La guerre pour se gagner a besoin de l’assentiment de la nation. Pour cette raison on masque autant que possible l’usage de la torture car le citoyen de base est souvent par principe opposé à cette pratique. Il faut lui vendre la torture. Lui expliquer qu’elle peut éviter la mort de nombreux soldats, que c’est un mal pour un bien. Je pense que c’est ce qu’on fourgue aux interrogateurs récalcitrants, à ceux qui montrent un peu moins de zèle que leurs collègues les plus inspirés. C’est ce qu’on fourgue aux citoyens. On appelle alors « techniques d’interrogatoire » la torture.

Le choix du refus de la torture n’a rien d’évident. C’est une anomalie, c’est contre-nature, contre la nature humaine. C’est un authentique sacrifice. Seule une armée de sur-hommes peut se passer de cette technique de guerre : le renseignement en lieu et place de pertes, le renseignement garant de choix tactiques optimaux. Le refus de la torture par les combattants se paient en vies humaines.

Il est courant de considérer l’ennemi comme inférieur, une vermine dont il est bon de se débarrasser pour des raisons d’hygiène. On ne torture plus alors un humain mais un animal inférieur et par là-même le pêché est mineur ( on sait que l’homme ne réagit pas avec la même intensité à la souffrance animale ).

L’armée n’envisage pas le moins du monde de s’en passer. Je ne crois pas être dans l’erreur en affirmant suite à simple réflexion que toutes les armées du monde utilise ou utiliseront la torture.

Ce qui m’a frappé dans le reportage :

D’abord les interventions des tortionnaires US de Bagram, Afghanistan qui semblent tout surpris de leur condamnation. Ils se doutent bien qu’ils trinquent pour le système dont ils n’étaient qu’un rouage zélé. Vu à la télé, ils ont presque l’air sympathique, des gens on ne peut plus normaux du moins dans leur apparence. Puis j’entends l’un d’entre eux qui déclare avoir du changer de jambe pour « béquiller » sa victime. Je l’imagine et là ça devient effrayant. Rien de pire que la bestialité qui se cache sous l’apparente normalité.

Autre fait marquant :

Les mises en scènes « lubriques » d’Abou Graïb. Là, cela semble manifeste, les tortionnaires ont laissé s’exprimer leurs penchants déviants sur la base de consignes volontairement flous. On sombre dans la folie, une pornographie atroce. C’est abjecte. Les prisonniers sont devenus des objets sexuels. Les gants en latex viennent compléter l’uniforme des bourreaux pervers. Une nouvelle forme de torture mis en œuvre par des psychopathes au service de la Nation.

En conclusion naïve :

La dichotomie bien / mal malheureusement n’est qu’une simplification outrancière. Chacun de part et d’autre se réclamera du bien et n’hésitera pas pour en faire la preuve à sombrer dans le mal.

[ 1 ] On trouvera dans ce livre le récit de la dernière méharée effectuée par Théodore Monod à l’âge de 91 ans. Il y a quelque chose d’émouvant dans ce récit très simple, épuré, lucide de cet homme qui sait qu’il ne remontera sans doute jamais plus sur un dromadaire.