Le film
Ile aux fleurs
"Libre est l’état de celui qui jouit de liberté. Liberté est un mot que le rêve humain alimente.
Il n’existe personne qui l’explique et personne qui le comprenne"
Extrait de film de culte :
[...] En quinze ans, les douze minutes de L’Île aux Fleurs, dévastateur court métrage avant-gardiste de Jorge Furtado, n’ont pas pris une ride. Tous ceux qui l’ont vu (et bien souvent revu ad nauseam) le savent: en dévoiler les rouages serait le trahir et mettre à mal l’effet de surprise qui régit le film. Et puis, comment résumer ces douze minutes? On pourrait, par exemple, choisir comme fil rouge, la tomate, et dire que ce film montre l'itinéraire de ce "végétal, plante de la famille des solanacées", de sa cueillette jusqu'à sa consommation en passant par sa vente et sa préparation culinaire. Les mauvaises tomates sont jetées aux ordures, et finissent dans la décharge de l'Île aux Fleurs. Dès lors, que faire? Résumer les choses par le pitch malin suivant, archi-usité sur Internet: "Une tomate est plantée, récoltée, vendue avant de finir à la décharge de l'Île aux Fleurs parmi les porcs, les femmes et les enfants. Quelle différence y a-t-il entre les tomates, les porcs et les êtres humains?". Ici, on en dit à la fois trop et pas assez. Les enjeux apparaissent trop facilement, et parfois de façon pas complètement pertinente (la différence entre les tomates, les porcs et les êtres humains devient-elle vraiment claire dans ce film?) et l’humour paradoxal inhérent au film est déjà dynamité. Une autre formulation circule: "M. Suzuki est Japonais. C'est donc un être humain. Il plante des tomates non pas pour les manger mais pour les échanger contre de l'argent à un supermarché. A partir de là, nous suivons le trajet de l'une de ces tomates, qui va échapper à la sauce d'un plat de porc familial pour finir à l'authentique décharge de l'Île aux Fleurs, au Brésil". En reprenant rapidement la structure du film, on conserve l’ambition de la démarche. Mais, une fois encore, en révélant le fin mot de l’histoire, on enlève énormément de pouvoir au film. Un pouvoir idéologique et émotionnel nécessitant pour sa première vision une absolue virginité. Après tout, que faut-il savoir a priori d’un court métrage? Le temps joue pour lui.
Douze minutes, donc. Douze minutes d’une formidable évidence. Douze minutes qui suffisent pour mettre en branle les rouages indéfectibles du commerce mondial. Douze minutes d'images agrémentées de commentaires d'un humour implacable. Jusqu'à la fin où tout le monde arrête de rire. Furtado joue avec des idées simples ("l'être humain se distingue des autres animaux par son télé-encéphale hautement développé et son pouce préhenseur"); des images décalées (le champignon atomique pour illustrer les capacités intellectuelles et techniques de l'être humain); des slogans bien pesés ("se souvenir c'est vivre"); des élucubrations moins innocentes qu'elles n'y paraissent (l'invention de la monnaie), pour simplement dévoiler les aberrations d'un système commercial mondialisant qui se prétend parfait et porteur de richesses. Outil de réflexion sur les dérapages qui apparaissent dans une société lorsque l'être humain n'est plus prioritaire, L’Île aux Fleurs, depuis 1989, n’a jamais su, sans surprise, être détaché de sa condition d’objet démonstratif pour devenir le véritable support d’analyse cinématographique qu’il est également – avant tout? Soyons concrets et faisons comme tout un chacun soucieux de s’informer: "googlons" L’Île aux Fleurs. La moisson du célèbre moteur de recherche de la bibliothèque mondiale la plus dynamique du monde est révélatrice: le film de Furtado se glisse allègrement au sein d’une multitude de programmes de courts métrages dans lesquels il est référencé, au milieu d’autres courts engagés, souvent dans le cadre d’un meeting d’Attac ou d’alters de tout poil. Mieux, L’Île aux Fleurs s’est à ce point institutionnalisé que la photo d’accompagnement la plus courante, d’un cochon mort et ficelé, certes dérivée du film, n’est pas tirée de l’un de ses photogrammes! De fait, pour beaucoup, Furtado, quand on pense à citer son nom, est le réalisateur de cet unique film, couronné de pas moins de 17 prix, dont les plus prestigieux sont l’Ours d’Argent au Festival de Berlin en 1990 ainsi que les prix de la presse et du public au Festival de courts métrages de Clermont-Ferrand en 1991. Rendons donc à César ce qui appartient à Jorge. Furtado est né en 1959. Après des études de médecine, de journalisme et de sculpture, il a travaillé à la télévision (TVE, Rio Grande do Sul) comme reporter, animateur, programmateur et chargé de production. Directeur au Musée de la Communication de l’Etat de Rio Grande do Sul de 84 à 86, il collabore à la Tele Globo et est aujourd’hui l’un des membres actifs de la Casa de Cinema de Porto Alegre. [...]
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