(Claudette Allongue – La Gazette des Jardins 56)
Et le cauchemar recommença.
Chaque nuit depuis l’été précédent il revenait, l’amenant toujours plus près de la folie. Il ne voyait ni n’entendait, seul son esprit vivait, se débattant frénétiquement à l’intérieur de son crâne, tel un oiseau affolé dans une cage. Comme il s’y attendait, monta en lui une horrible sensation d’étouffement. Il sentait le contact d’une matière fibreuse et dure qui l’enveloppait, cocon trop étroit le contraignant à l’immobilité. Au fil des nuits la gangue s’était resserrée. Ce qui avait débuté avec l’impression d’être enfermé dans un espace restreint s’était mué en quelque chose de bien pis, le sentiment d’être emmuré vivant.
« Je suis debout dans un placard ou pire, se dit-il, et l’air se raréfie. La nuit prochaine, ou l’une des suivantes, je finirai de cette façon, asphyxié ». Il ouvrit la bouche pour crier mais se ravisa, réalisant qu’il épuiserait plus vite l’oxygène ainsi. Il tenta de bouger les jambes mais ne le put, pas plus que ses bras, qui d’une manière ou d’une autre, étaint maintenus serrés contre son corps. Pourtant un sentiment d’urgence le saisit, si fort qu’en un sursaut violent il s’éveilla.
Bien sûr, son travail et son caractère s’en ressentaient. D’autoritaire, il devint despotique, et irritable. Il avait toujours su trouver les bonnes affaires, un pied dans la légalité l’autre ailleurs, toujours su mener à bien les magouilles immobilières les plus juteuses sans jamais se compromettre vraiment, toujours su arroser qui de droit au meilleur moment, un sorte de talent, quoi.
A présent, son flair l’abandonnait. Avec une obstination inquiétante, il venait de conclure deux ou trois transactions bien pourries, ignorant les objurgations de son associé et s’enfonçant dans l’erreur avec une persévérance remarquable. Les deux hommes en vinrent presque aux mains. Il avait déjà eu une altercation avec cet ancien ami, qu’il jugeait abusivement honnête, et pinailleur. Cela se passait l’été dernier, justement. L’autre prétendait lui demander des comptes sur la manière dont il avait poussé le barjot du coin à allumer des feux dans la forêt pour « nettoyer les broussailles ». Et dans quel but ? Est ce qu’il comptait acheter les terrains à bas prix ? Est ce qu’il ne savait pas que ces terres étaient gelées pour des années, Dieu merci ! Est ce qu’il se rendait compte de ce qu’il faisait ? etc. Lui s’était contenté de sourire, sachant ce qu’il savait. Et il avait déjà fait ce genre de placement et le ferait encore : un peu de patience et du fric, c’est tout ce qu’il fallait.
Il avait avancé ses pions et pris les contacts nécessaires ; et que deviendrait la boîte s’il n’était pas là pour prendre des risques ? Que deviendraient son associé et sa précieuse éthique ?
En janvier, une sorte de grippe le cloua au mit. Il plongea dans un sommeil délirant entrecoupé de brèves périodes d’éveil lucide. La peur et le désespoir prirent leurs quartiers chez lui, mais aussi une sorte d’expectative perverse. Les choses s’accéléraient et empiraient, prenant, si c’était possible, un tour encore plus étrange. S’il restait englué dans le même cauchemar, la vue et l’ouïe lui étaient faiblement revenues, et l’odorat, pour son tourment. Une odeur piquante le suffoquait, ses yeux larmoyaient, il sentait l’approche d’une mort horrible. A chaque fois, il tentait de remuer les jambes, de s’enfuir ; en vain : ses pieds étaient comme liés et cloués au sol. A chaque fois, son corps l’éveillait en sursaut, bien qu’il eut la certitude que s’il ne se sauvait pas pendant son cauchemar, celui-ci aurait raison de lui. Il comprit petit à petit qu’il se trouvait dans une forêt, de chênes, de pins et de châtaigniers frémissant dans le vent.
Mais le vent ! Le vent était poison et lui brûlait la gorge, le ciel au-dessus de lui était d’un noir d’orage. Seule subsistait au loin une sinistre lueur rouge. Au fil des rêves, cette lueur se rapprocha, lui devenant une obsession, plus que le souffle chaud, plus que les volutes grises qui se mêlaient aux feuillages, plus que l’odeur de sève et de chairs brûlées, car bien sûr il l’avait compris, oui, le feu était là ; et lui, lui n’était pas enfermé dans le tronc d’un arbre, non il ETAIT un arbre.
Comme ses frères, il attendit impuissant l’arrivée de la mort rouge. Il eut le temps de voir, près de son pied immobile, la fuite dérisoire de petites bêtes terrorisées. Un oiseau en feu traversa l’espace et, tout près de lui, la chevelure d’un pin s’enflamma. Les branches se tordirent et craquèrent, l’atroce agonie gagna le tronc qui éclata. Des larmes de résines brûlantes s’en foncèrent dans sa propre peau – son écorce, commença à se consumer. Des flammes léchèrent ses pieds – son tronc se tordit. Une douleur ardente se répandit dans ses veines.
La torture dura, lui sembla t-il , une éternité…
La chose s’est déjà produite. Dans la catégorie « phénomènes inexpliqués », elle est connue sous le nom de « combustion spontanée ». Pourtant ceux qui ont affaire à elle sont toujours extrêmement choqués. Ce fut le cas cette fois là encore, où une femme de ménage perdit connaissance en découvrant le corps de son employeur complètement carbonisé.
Les draps sur lesquels reposait le cadavre avaient légèrement jauni. Tout le reste était intact.
Commentaires
juste un commentaire
Intéressante nouvelle qui tend à ramener le végétal à l'homme ( anthropomorphisme ).
L'homme a commencé son combat contre la nature ( parasitisme ). Quand il l'aura vaincue, il savourera sa propre défaite.
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